Biennale de Venise : les artistes Nil Yalter et Anna Maria Maiolino, lauréates du Lion d’or 2024
Portraits de Nil Yalter et de Anna Maria Maiolino © Oliver Abraham © Maycon Lima
La 60e édition de la Biennale de Venise a décidé de remettre le Lion d'or à Nil Yalter et Anna Maria Maiolino pour l'ensemble de leurs carrières. Les deux artistes recevront leurs prix lors de la cérémonie qui aura lieu le 20 avril 2024 à la Ca’ Giustinian, siège de la Biennale.
Après Katharina Fritsch et Cecilia Vicuña en 2022, ce sont deux nouvelles femmes, la Turque Nil Yalter et la Brésilienne Anna Maria Maiolino, qui obtiennent le Lion d’or pour l’ensemble de leurs carrières. Les artistes participeront toutes les deux pour la première fois à la Biennale de Venise du 20 avril au 24 novembre 2024. Pour la 60e exposition internationale d’art, intitulée « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere » (Des étrangers partout), le commissaire de l’exposition, Adriano Pedrosa a choisi le thème de la migration et de l’exil.
Une édition sur le thème de l’immigration
Anna Maria Maiolino présentera une installation de grande échelle dans la continuité de sa série de sculptures en argile crue aux formes organiques évocatrices. Quant à Nil Yalter, elle proposera une variation de son travail intitulé Exile is a hard job (C’est un dur métier que l’exil). Le commissaire de l’exposition Adriano Pedrosa a tenu à choisir ce duo d’artistes dont il rappelle le parcours : « mon choix s’est porté sur deux femmes artistes extraordinaires et pionnières qui sont également des migrantes et qui incarnent à bien des égards l’esprit de « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere » ».
En effet, Anna Maria Maiolino est née à Scalea en Italie en 1942. Sa famille, d’origine italienne, immigre au Venezuela en 1954. Puis la jeune femme immigre au Brésil, où elle vit d’ailleurs encore. Elle intègre les Beaux-Arts de Rio de Janeiro à 18 ans, en 1960. Nil Yalter est pour sa part née au Caire en Égypte en 1938, et sa famille, d’origine turque, est retournée à Istanbul, où elle a grandi. La jeune artiste autodidacte débarque à Paris en 1965 à l’âge de 27 ans. Le commissaire brésilien revendique pour cette édition d’avoir choisi des « artistes qui sont eux-mêmes des étrangers, des immigrants, des expatriés, des diasporiques, des émigrés, des exilés et des réfugiés, en particulier ceux qui se sont déplacés entre le Sud et le Nord. »
Le titre de l’exposition est issu d’une œuvre du collectif Claire Fontaine fondé à Paris en 2004, assemblage de néons formant la phrase « Foreigners Everywhere ». Cette dernière est elle-même empruntée au nom d’un collectif turinois qui a lutté contre le racisme et la xénophobie en Italie au début des années 2000 : Stranieri Ovunque (Des étrangers partout).
Nil Yalter, les affres de l’exil et la condition des femmes
À la Biennale, l’artiste turque montrera une variation autour d’une œuvre commencée en 1975 et qui est toujours en cours. Elle photographie et dessine des personnes immigrées turques, des hommes, des femmes et des enfants, puis imprime cette déclinaison de portraits sur des affiches qu’elle maroufle dans les rues ou dans les musées. Elle peint ensuite au dessus en lettres rouges « Exile is a hard job » (« C’est un dur métier que l’exil »), qu’elle répète en plusieurs langues notamment le français, le grec, l’arabe...
Nil Yalter emprunte cette phrase au poète turc Nâzim Hikmet, mort lui-même en exil, à Moscou en 1963. La lauréate a été choisie pour de nombreuses rétrospectives et expositions solo et ses œuvres sont collectionnées par de grandes institutions (la Tate, le Centre Pompidou notamment). Au musée d’art moderne de la Ville de Paris, elle avait montré sa yourte Topak Ev en 1973, qui abordait les conditions de vie des groupes nomades vivant en Turquie.
Portrait de Nil Yalter © Isabelle Arthuis
À Vitry-sur-Seine, au MAC VAL en 2019, elle a traité en particulier de la condition des femmes dans le monde. L’artiste internationalement reconnue, en particulier pour son engagement féministe, avait notamment présenté une œuvre bouleversante intitulée Lapidation (2009).
Anna Maria Maiolino
Anna Maria Maiolino est également une artiste de portée internationale largement collectionnée et exposée. Elle a par exemple bénéficié d’une rétrospective à la Whitechapel Art Gallery à Londres en 2019. Elle a exposé à de nombreuses reprises dans les biennales à travers le monde, notamment celle de São Paulo (2010, 1998, 1991, 1994, 1967) et plus récemment celle de Lyon (2017). Son travail a entre autres intégré les collections du MoMA de New York, celles de la Tate Modern à Londres et du Musée d’art moderne de Rio de Janeiro. Anna Maria Maiolino s’est fait connaître dans les années 1960 alors qu’elle faisait partie du mouvement brésilien Nova Figuração (Nouvelle Figuration). Elle a participé en 1967 à l’exposition historique collective « New Brazilian Objectivity » (La nouvelle objectivité brésilienne) aux côtés d’artistes tels que Helio Oiticica, Rubens Gerschman, Raymundo Colares, Antonio Dias…
Elle dénonce alors la censure et la dictature brésilienne (1964-1985) avec des œuvres tel que A Viagem (Le Voyage, 1966). Elle pratique à cette époque principalement la sculpture et la gravure sur bois ainsi que la peinture. C’est dans les années 1990 que le modelage de l’argile apparaît dans le travail de l’artiste multidisciplinaire. Elle crée alors des installations de sculptures aux formes organiques dont la fragilité est palpable, car elle choisit de laisser l’argile crue. Pour son exposition à la Biennale de Venise en 2024, c’est ce travail du fait-main et des matériaux élémentaires qu’elle a choisi d’approfondir. Ce dernier peut également évoquer la répartition genrée des tâches domestiques.
Cette préoccupation féministe ne l’a en effet jamais quittée. Avec l’une de ses œuvres marquantes, In-Out Antropofagia, gros plan sur des bouches filmé à la caméra Super 8, elle dénonçait déjà en 1973 le silence pesant sur les femmes dans une société dominée par les hommes.
« Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere »
60e exposition internationale d’art de la Biennale de Venise
Les Giardini et l’Arsenal, Venise
du 20 avril au 24 novembre 2024