
Baudouin Eschapasse
Publié le 10 mars 2025
Les oliviers millénaires d’Antoine Schneck
Le photographe expose à Paris d’hypnotiques portraits d’arbres immémoriaux. Une série réalisée dans les Pouilles depuis une quinzaine d’années.

D'Antoine Schneck, on connaît ses troublants portraits d'hommes et de femmes, de tous milieux, réalisés sur les cinq continents (de la Papouasie-Nouvelle-Guinée à la Chine en passant par le Ghana, le Mali et l'Éthiopie) : des images en grand format, faites à la chambre, comme aux premiers temps de la photographie. Ces visages, isolés sur fond noir, proposent un puissant face-à-face avec des individus de culture parfois très éloignée de la nôtre.
Après une série sur les fleurs, faites sur plaques de verre, selon la technique du collodion humide, qui recourt à des sels d'argent pour fixer les empreintes laissées par la lumière…, l'artiste nous propose aujourd'hui de nous pencher sur un nouveau sujet : les vénérables oliviers des Pouilles (Italie).
Ils portent chacun un nom : Ottavio, Gino, Cosimo, Tommaso ou encore Giuseppe. Antoine Schneck les a rencontrés à la faveur d'un voyage dans le sud de la Péninsule il y a une quinzaine d'années. Ces arbres, habitants millénaires de cette campagne aride de l'Italie méridionale, le photographe a eu envie d'en tirer le portrait.
Comme pour ses précédentes séries, l'artiste a pris le parti de les installer sur fond noir comme dans un studio (il a attendu la nuit tombée pour les immortaliser, en noir et blanc), de sorte que la lumière ne semble pas projetée sur les modèles, mais donne le sentiment, au contraire, d'irradier d'eux. Le résultat renouvelle profondément le regard que l'on porte sur ces sujets !

Giuseppe, tirage pigmentaire, 100 x 120 cm
© Antoine Schneck, Courtesy Galerie Berthet-Aittouarès
Un monde sans artifices traditionnels
« Ma préoccupation est, depuis longtemps, de faire des photos où la question du cadrage, de la profondeur de champ et de l'éclairage ne viennent pas polluer la manière dont le spectateur perçoit mes images », explique Antoine Schneck. Cette démarche, qui vise à représenter le monde sans recourir aux artifices traditionnels de son art, contribue grandement au charme de son œuvre.
Sans décor, débarrassés de toute couleur, troncs et feuillage accèdent ainsi à une nouvelle dimension. « On ne sait plus trop s'il s'agit d'un cliché où d'une gravure », sourit le photographe. Le sens des proportions se trouble aussi. S'agit-il de bonsaïs minuscules ou d'arbres majestueux ? Les reliefs se brouillent également : notamment sur les troncs, où il devient impossible de discerner formes concaves et convexes. Parés de tonalités argentées, les végétaux vont jusqu'à perdre leur identité propre. « Prenez ces trois troncs qui donnent l'impression de danser, je les ai rebaptisés les Trois Grâces tant le mouvement de leur branchage est élégant », développe Antoine Schneck. Cette métamorphose tient à un secret de fabrication. Chaque image est l'assemblage d'une vingtaine de photographies différentes éclairées chacune de manière unique.
« Sur l'une, j'ai placé des spots rasants qui soulignent la nervure de l'écorce, sur l'autre un flash dans la canopée a permis d'éclairer les feuilles les plus cachées comme si c'était l'arbre lui-même qui étincelait », décrypte le plasticien. Ces manipulations contribuent à faire sortir du néant la silhouette des branchages et à rendre phosphorescentes ces arborescences qui réverbèrent la lumière comme des diamants.
Ce long travail de postproduction a permis à Antoine Schneck de recomposer pour chaque olivier une image singulière et de vérifier la justesse de la formule du peintre John Constable (1776-1837) : « il n'y a jamais eu deux feuilles d'un arbre semblables depuis la création du monde ; et les pures et authentiques productions d'art, comme celles de la nature, sont toutes distinctes l'une de l'autre. »

Ottavio, tirage pigmentaire, 100 x 100 cm
© Antoine Schneck, Courtesy Galerie Berthet-Aittouarès
Exposition « Oliviers » d'Antoine Schneck
Galerie Berthet-Aittouarès, 14 et 29, rue de Seine, Paris 6e. Jusqu'au 29 mars.
Tél. : 01 43 26 53 09. Site Internet : galerie-ba.com.