17 Février 2023
Jean-Pierre Thibaudat
journaliste, écrivain, conseiller artistique Abonné·e de Mediapart
Dans les œuvres dialoguées de Daniel Pontoreau
A la Louvière en Belgique, au grand centre de céramique de la Louvière, vient de s’ouvrir « Avant le paysage », une exposition des œuvres du sculpteur et céramiste Daniel Pontoreau magnifiquement mises en scène.
arche noire © jpt
« Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtre soit amorcé. » Ces mots extraits de L’espace vide, le livre le plus célèbre, le plus traduit et le plus influent de Peter Brook, ne figurent pas sur le fronton d’un théâtre mais s’affichent au cœur d’une exposition d’un sculpteur pratiquant la céramique : Daniel Pontoreau. Son exposition Avant le paysage, rassemblant des œuvres des dernières décennies, vient de s’ouvrir à Keramis, centre important de la céramique à la Louvière en Belgique. Ce musée ayant plus de dix mille pièces dans ses réserves, jouxte l’ancienne manufacture Boch dont les fours-bouteilles gigantesques ont, en partie, été conservés.
S’il a signé naguère plusieurs scénographies passionnantes pour la compagnie de danse Kilina Crémona, s‘il aime aller au théâtre, Daniel Pontoreau n’est pas du sérail. Mais, il n’empêche, ses œuvres instaurent de forts dialogues entre des matières et ses expositions relèvent d’un art de la mise en scène.
Arche noire, l’une des premières pièces qui nous accueillent donne le ton : formant une imposante arche de grès noir, un assemblage de huit blocs à la surface quelque peu striée . Dessous sont disposés au sol un cercle formé de minuscules et informes tas en porcelaine blanche, comme un rassemblement des veilleurs. Aucune signification assignée à cette scénographie comme aux autres, aucun symbole, mais un dialogue entre formes et matières que l’on va retrouver tout au long de l’exposition.
Ainsi l’association terre cuite et porcelaine est présente, ici dans une Pierre étoilée (2014), là dans une Froissée (2020). Petite montagne et fil blanc (1981) consiste en un beau dialogue entre entre une masse de terre cuite on ne peut plus sombre et, flirtant avec l’incurvation de sa forme, la courbe d’un léger et aérien fil de coton blanc dont les pans se perdent dans les airs. Plus loin, près des anciens fours-bouteilles, deux longues colonnes aux formes proches, dressées côte à côte forment Deux pièces faciles (2018) faisant dialoguer grès, porcelaine et terre cuite émaillée. Ailleurs, dans une proximité avec d’autres pièces, Deux formes (2017) associe grès et terre réfractaire entre deux formes, l’une droite, comme au garde çà vous, striée de lignes verticales, l’autre, de même hauteur, plus opaque, tout en rondeurs.
Paysage © jpt
Une autre histoire se noue entre Paysage horizon (2017), terre réfractaire et porcelaine, Paysage (2021), grès et porcelaine et Avant le paysage (2022), grès et engobe. Ces trois œuvres (il en est d’autres) allant de l’ocre du pourtour ou du sous-bassement, au blanc dominant le cœur sont traversées par une béance étroite, une balafre, là commence le récit de leur énigme et l ‘invite au vagabondage. La beauté du creusement apparaît comme un mouvement intérieur sans que rien ne bouge, un appel. « Je m’écarte de tout ce qui peut faire image, c’est à dire ce qui fixe les choses dans une seule interprétation » insiste Daniel Pontoreau, phrase que l’on pourrait appliquer au jeu des plus grands acteurs de la scène. « Rien ne m’apaise plus que l’idée de paysage » ajoute l’artiste. De fait, se promener dans son exposition, apaise, approfondit.
Dans l’ouvrage publié à l’occasion de cette grande exposition, après avoir cité Paul Klee (« l’art décille les yeux »), son ami, le céramiste Philippe Godderidge écrit : « Le travail de Daniel Pontoreau nous montre la sacralité des lieux communs. Un trait de lumière, quelques pierres posées suffisent à instaurer la solennité. Rien dans ces sculptures n’est sophistiqué. Rien n’est spectaculaire. Opposé au bavardage, le silence est de terre, le sable chaud. Ici, c’est le calme qui nous entoure, ponctué par la présence des œuvres lourdes de matières et de sens. Et pourtant, peu d’émail et peu de couleurs. On est loin du décor. Attachée à la rudesse, la douceur vient à peine des traces d’un kaolin jauni par le feu. Quelques petits morceaux de feldspath suffisent à rendre les pierres précieuses. La beauté trouve alors sa qualité géologique dans une gamme restreinte de couleurs décidées par le four ». On ne saurait mieux dire. Telle ces Griffures (2020, 2022) en terre réfractaire, fruits de séjours au Japon.
Daniel Pontoreau, Avant le paysage , exposition à Kéramis (La Louvière, Belgique, à 200 m de la gare), centre de la céramique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, jusqu’au 20 août 2023. Catalogue bilingue français-anglais publié par Prisme Editions
Jean-Pierre Thibaudat